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Sans titre [détail]

Sylvie Houriez
    shouriez@hotmail.fr
    59300 VALENCIENNES
    site

Sylvie Houriez prend pour matière première des pièces d’habillement, souvent des sous-vêtements féminins, avec une prédilection, non exclusive cependant, pour la couleur rose. Elle s’empare de ces secondes peaux, vidées de leur occupante, les déforme, les détourne, les coupe, les coud, les noue, les suture, les triture, les contorsionne, les démembre et les remembre pour produire des êtres improbables, animaux ou végétaux, à l’aspect insolite, dérangeant.
S’arrêter ici, s’en tenir à ces simples constatations, serait très réducteur de la démarche et de l’ambition de l’artiste. Son travail n’a rien du bricolage. Sylvie Houriez ne se limite pas à proposer des images amusantes, incongrues ou déconcertantes à partir de matériaux recyclés, détournés… Il y a bien plus, chez elle… Beaucoup plus…
Premier constat, les sous-vêtements utilisés par Sylvie Houriez, même s’ils sont encore commercialisés, sont d’une esthétique désuète, évoquant plus les grands-mères du temps de son enfance que les pin-up et les top-models qui font fantasmer les mâles d’aujourd’hui. L’image de la peau flétrie et ridée des occupantes potentielles de ces froufrous démodés vient inévitablement à l’esprit. Chics mais ringards, ces sous-vêtements récusent d’emblée toute velléité d’association sexuelle. Ils véhiculent une idée de déliquescence, de désincarnation. Comme si l’âme d’un corps depuis longtemps transformé en cendres s’était substituée à ce corps, enveloppait son ancienne écorce. L’amour physique, devenu impossible, deviendrait un amour métaphysique.
Deuxième constat, Sylvie Houriez ne se contente jamais d’une pièce isolée. Telle une musicienne, elle les multiplie et les varie, avec d’infimes changements, jusqu’à épuisement de son matériau de base. Séries, répétitions, thèmes et variations, accumulations… tout concourt à remplir l’espace, aussi bien physiquement que mentalement. Il y a, chez elle, comme une transposition dans la troisième dimension de la notion picturale de all-over, en ce que ses accumulations finissent par s’affranchir du problème du champ. Mais malgré cette saturation de l’espace, chacune des pièces, prise isolément, reste une enveloppe, une sorte de chrysalide abandonnée, une allégorie d’une solitude dans la multitude.
Troisième constat, si les travaux de Sylvie Houriez sont d’évidentes métaphores de la peau humaine, d’une enveloppe, d’une sorte de sur-peau, ils en partagent aussi le caractère vivant, instable et évolutif. Ses œuvres sont, dans un premier mouvement, révélation, épiphanie. Le (sous-)vêtement, censé être dissimulé, intime, proche du corps, collant à la peau, est d’abord manifesté. Mais, dans le même geste, il est détourné de sa fonction originelle. De protecteur, il se fait fourreau, étui, prend une dimension animale ou végétale. Il est alors polysémique, révélateur de plusieurs sens, de plusieurs personnalités. Vient, dans un second temps, la découverte d’une instabilité structurelle, d’une sorte de valse-hésitation permanente et irréductible, oscillant, tel un pendule, entre déconstruction et reconstruction. L’artiste revendique cet état instable – ou métastable – qu’elle qualifie d’intermédiaire. C’est cette frustration de sentir la forme et son sens s’évanouir au moment même où l’on pensait les saisir qui confère à ses œuvres leur don de fascination, mélange quasi magnétique d’attraction et de répulsion.
Déliquescence et transmutation, accumulation et solitude, révélation et instabilité, tels sont les caractéristiques essentielles des œuvres de Sylvie Houriez… Il faut se rendre à l’évidence, même si elle prend des risques singuliers en recourant à des textiles et à des vêtements féminins, ses travaux n’ont rien à voir avec ce que l’on désigne, de façon quelque peu dédaigneuse et péjorative, du terme de travaux de dames… Sauf à être aveugle ou insensible…

LD