Faire des mondes Frédéric Messager Frédéric Messager macule, déchire, lacère et froisse le papier. Il part de larges feuilles de papier fort – plus récemment de rouleaux de papier – sur lesquelles il répand des nappes d’encre de Chine ou d’un mélange de bitume et de térébenthine, dirigeant et contrôlant l’écoulement par des gestes amples et mesurés. Dans les plages laissées vierges, blanches, par les taches et les coulures noires, en une démarche lente, patiente et laborieuse, il dessine, en noir, des petits paysages abstraits, des mises en scène de rêves inédits. Sa démarche est à la fois gestuelle et quelque peu japonisante. Ce sont, pour lui, des paysages qu’il « développe dans une approche utopique où s’affiche l’instant de la création, sous une forme d’abandon à la production de traces, formes, signes, en tenant compte des hasards ou des déterminations qui interviennent dans la dynamique de l’exécution du dessin. » Il froisse alors rageusement la feuille pour produire des volumes informes. Il lacère ensuite, à coups de scie, les formes ainsi obtenues, les écrase, les broie, pour en révéler l’intérieur, par des brèches, par des béances presque obscènes. Devenu démiurge, l’artiste, dans un même mouvement, crée de toutes pièces sa créature puis l’éventre pour en révéler les viscères. Amour vache, amour destructeur, du créateur pour son propre ouvrage. Pygmalion assassinant sauvagement sa Galatée… Malgré toute cette violence latente, le résultat est souvent séduisant, évoquant la céramique, dans une sorte de trompe-les-sens qui se joue du spectateur et de sa perception de la pesanteur. |
LD